Osamu Dazai est un auteur bien connu au Japon. Évidemment, j’ai lu une traduction de ce roman intitulé Ningen shikkaku en version originale (人間失格) car je suis bien loin de connaître assez de japonais. Je me suis donc procuré une version anglophone intitulée No longer human pour l’orgueil de posséder une édition dont je trouvais la couverture jolie. En français, le roman le plus vendu de l’archipel nippon se nomme
La déchéance d’un homme. Il est sans doute bien difficile de traduire ce titre, cela explique les nuances entre le nom anglophone et le nom francophone. Les traducteurs ont choisi une part de sens pour la mettre en avant et je ne sais pas si je serais capable d’apporter ma propre version même après avoir lu ce roman qui m’a bouleversée.
J’admets qu’en ayant lu brièvement la biographie d’Osamu Dazai, et de savoir que le roman fut publié après son suicide, j’étais déjà particulièrement émue dès les premières pages. Les mots prennent un sens encore plus tragique et on ne peut que se prendre de compassion pour cette personne qui a essayé de se plier à la norme sociale tout en se sentant continuellement un étranger au milieu de ses semblables.
Le roman prend la forme de plusieurs carnets qui auraient appartenu au protagoniste et qui sont remis en ordre sous la forme d’un roman. Nous suivons donc les différentes étapes de la vie d’un enfant qui souffre, d’un adolescent qui fait le clown et feint l’humour afin de se faire apprécier des autres, un jeune adulte créatif et rêveur avec de mauvaises fréquentations, l’amour, la perte de l’amour, la honte, le déshonneur…
People talk of “social outcasts”. The words apparently denote the miserable losers of the world, the vicious ones, but I feel as though I have been a “social outchast” from the moment I was born. If ever I meet someone cisity has designated as an outcast, I invariabily feel affection for him, an emotion which carries me away in melting tenderness.
No Longer Human, Osamu Dazai, traduit en anglais par Donald Keene.
Les stratégies d’adaption d’une personne inadaptée sont décrites de façon réalistes. Il est indéniable que l’auteur s’inspire de sa propre expérience.
I had learned bit by bit the art of meeting people with a straight face — no that’s not true: I have never been able to meet anyone without an accompaniment of painful smiles, the buffooney of defeat. What I had acquired was the technique of stammering somehow, almost in a daze, the necessary small talk.
No Longer Human, Osamu Dazai, traduit en anglais par Donald Keene.
Le livre est paru pour la première fois en 1948, ce qui n’est vraiment pas loin de la fin de la seconde Guerre Mondiale. Certaines choses dans le roman peuvent choquer le lecteur contemporain. La place de la femme et la façon dont elle est représentée ne sont pas les plus élogieuses. La femme étant aux yeux du personnage principal (et sûrement une grande partie des personnes de son époque) une sorte de créature étrange faite d’humeurs et de caprices bien difficile à comprendre. J’ai fait des efforts pour prendre du recul vis-à-vis de ces passages en les remettant dans le contexte, pour une culture qui m’est étrangère et narrée pendant une époque que je ne connais pas. Sans faire abstraction, fronçant les sourcils au moment de contacter – encore – une phrase très misogyne, je ne me suis pas retenue de soupire pour tenter de détendre mes neurones contrariés. Par exemple, le fait de mettre au clou les vêtements de son épouse pour acheter de l’alcool, en tant que pratique courante et habituelle a eu le don de me répugner.
- La déchéance d’un homme, Dazaï Osamu, en français traduit par Gaston Renondeau (amz)
- No longer human, Osamu Dazai, en anglais traduit par Donald Keene (amz)
- La déchéance d’un homme, adapté en manga par Junji Ito (T1)(amz)
Progressivement, j’ai compris la traduction du titre en français et le choix de « la déchéance d’un homme ». L’ensemble des carnets qui constituent le roman nous montre ce qu’est la dépression chez un homme dans une société où le statut et l’honneur forment des valeurs centrales. Elles sont les composantes dominantes de ce qui fait la dignitité et la responsabilité d’une personne. En voyant le monde à travers les yeux du narrateur, le regard des autres semble moins cruel que le regard sur soi-même.