Vendredi soir dernier, je quitte mon bureau pour m’adonner une petite séance de croquis. C’est une bonne façon de commencer le week-end et cela fait pour moi une agréable transition entre le travail et le retour chez soi. Cette fois-ci, sans grande idée j’ai décidé de m’installer à café-restaurant que j’aime beaucoup. Savoir que je serai bien accueillie et qu’on pourra se concentrer est un bon argument pour que cet endroit puisse devenir un “spot dessin”.
Assise, je commande donc du thé fruité, je sors un bloc de papier que je teste pour La Compagnie du Kraft, des crayons sepia et un sanguine, un crayon blanc, mes feutres sepia… et hop. Cette séance de dessin a duré un peu plus d’une heure et demi, concentration au maximum, on me raconta plus tard que j’étais très observée par les autres personnes du bar… et je n’avais rien remarqué.
J’ai remarqué que depuis que j’ai repris le dessin de manière très active, j’ai tendance à rester dans une zone de confort qu’est celle du croquis. Le fait de présenter un dessin sous l’angle du croquis permet de m’excuser de ne pas l’avoir fait parfaitement comme j’aurais aimé qu’il soit. Le croquis est pour moi un format de travail et n’est pas vraiment destiné à être montré. J’ai peu de mal à montrer mes croquis aujourd’hui, c’est devenu une sorte de curiosité auprès de mes amis qui aiment bien voir les nouvelles réalisations. Pourtant, je conserve une forme de détachement vis-à-vis de ce que je fais car j’ai l’impression de ne montrer que des choses inachevées.
Il va pourtant falloir que je quitte cette zone de confort, et que je commence à montrer, présenter, argumenter peut-être, ce que je fais. J’ai bien en tête que je ne pourrais pas rester éternellement dans le croquis. Pourtant j’ose peu en sortir, et c’est sans doute une question d’assurance.
J’ai peu envie d’être notée, jugée ou critiquée sur ce que je fais. Ce n’est pas tant par timidité mais plutôt par pudeur. Aujourd’hui ce que je fais est surtout pour moi alors j’ai du mal à comprendre l’intérêt qu’on pourrait y avoir à dire “c’est bien”, “ce n’est pas bien”, “ça pourrait être mieux”.
Mais cette fois-ci, au café, j’ai signé mon croquis et je l’ai même offert. C’était alors la première fois en trois ans que je me séparais physiquement d’un de mes dessins.
Ce fut un sentiment étrange pour moi, comme une petite amputation (en moins grave tout de même). Il y a quelques 6 années de cela, j’ai une grande partie de mes dessins qui étaient partis en fumée. J’ai eu assez de mal à reprendre un crayon en main et à me poser devant une feuille après cet épisode. Depuis ce temps, chaque réalisation où j’ai pu passer du temps, où j’ai mis un peu de moi dedans, reste avec moi. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’utilise le plus souvent des carnets de feuilles reliées, afin que tout puisse rester là et archivé de manière bien ordonnée.
Cela fait quelques quelques semaines que je me dis qu’il faut que je me remette à faire des choses sur des blocs avec des feuilles amovibles, ou tout simplement sur des feuilles volantes. Le format change, son objectif aussi. Le fait d’être réalisé hors d’un carnet lui donne la possibilité de passer indépendamment de moi d’une main à une autre, d’être montré, et pourquoi pas encadré (soyons fous).
Me connaissant, il va me falloir encore bien 3 ou 4 mois pour que je ne me décide à un format de feuille qui me convienne. L’opportunité de mes essais des carnets et blocs La Compagnie du Kraft (ici le modèle Carnet de campagne medium bleu) m’ont permise d’accélérer ma lenteur de réflexion. Avec une grimace, j’ai détaché ma feuille, et je l’ai tendu avec un sourire légèrement crispée.
Lorsque j’ai vu la feuille partir, loin de moi, j’étais à la fois stressée et soulagée. Ça y est, j’avais délégué la responsabilité d’une heure et demi de concentration à quelqu’un d’autre. La feuille et son contenu ne m’appartiennent plus, d’autres personnes pourront en profiter. J’ai alors ressenti de nouveau le plaisir du cadeau, celui du transfert du travail réalisé avec application. Et cela m’a fait un bien fou.
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