Il ne se passe pas une seule réunion ou rencontre plus ou moins professionnelle sans que l’on me pose des questions au sujet de ChatGPT. C’est faux, personne ne me pose de question au sujet de ChatGPT car tout le monde l’a testé. On me demande plutôt mon avis ou les façons dont nous aurions professionnellement commencé à intégrer cette révolution intelligente et artificielle dans notre quotidien.
J’ai ressenti un engouement à retardement. Sans doute comme lorsque l’on me parle énormément d’un livre à lire ou d’un film à visionner, je mets un peu plus de temps à y aller. Il me faut un petit moment pour faire mon propre avis ou tout simplement tenter de le faire, en essayant de faire abstraction de tout ce que j’ai déjà pu entendre ou lire.
Vraiment je n’ai pas été emballée, immédiatement, instantanément, par la magnifique technologie ChatGPT. Je n’y voyais pas que des problèmes, mais pinailleuse comme je suis parfois, je ne pensais qu’à ce que j’allais devoir faire – en plus – si j’acquérais une licence. Enfin, c’est pour le moment en version bêta gratuite. Cela dit je tiens tout de même compte d’un potentiel budget à venir. Cela m’embêterait de transformer un peu trop des méthodes de travail pour quelque chose dont je ne connais pas encore le coût réel. Maintenant que quelques dizaines de dollars par mois suffiraient à s’offrir un accès à ChatGPT sans indisponibilité de la plateforme, pourquoi pas. Il faut mesurer les choses, peser le pour et le contre et estimer la balance entre le temps de prise en main et d’utilisation vs ce que cela apporterait. Au moins ce n’est pas comme pour Google Analytics 4, et j’ai encore le choix de ne pas utiliser ChatGPT.
Pendant ce temps, pour mon métier spécifiquement, j’utilisais déjà des outils. C’est même quelque chose que l’on communique beaucoup à nos clients : le fait que l’on ne réalise pas d’économies de bouts de chandelle sur des outils, pourvu qu’ils nous fassent gagner du temps ou nous permettent d’enrichir notre travail. Souvent les deux, puisqu’un gain de temps offre aussi l’opportunité de passer cette pile de minutes supplémentaires en réflexion et en nouvelles idées. Désolée, le travail éditorial n’est toujours pas mécaniquement industrialisable… à moins que… ?
C’est ça la promesse de ChatGPT ? Dans monmilieu professionnel en tout cas, parmi les questions posées, il y a toujours celle de la peur. Ai-je peur de ChatGPT ? Ai-je peur que cela me remplace et anéantisse l’existence même de mon métier ? La réponse est souvent un « non » franc et sans détour. Pour le moment ces IA nous imitent très bien. Elles parlent comme nous, elles arrivent à nous répondre de façon à peu près naturelles et elles parlent de façon audible/lisible/compréhensible. Mais, ce n’est pas parce que cela a l’air bien dit que cela est vrai. Il se pose la question des sources. Et même si nous l’entraînons en injectant des données vérifiées par nos petits soins, un contre-sens est vite arrivé. Pour des métiers réglementées, ce qui constitue une bonne partie de notre clientèle, c’est bien complexe de laisser les mains totalement libre à une IA sans vérifier les formulations utilisées.
Pendant que nous gagnions déjà du temps avec de la génération d’idées et de morceaux de textes via des outils, ensuite vérifiées et édités, quelle est vraiment la différence avec ChatGPT ? Pourquoi soudainement ce bidule devient-il le messie qui nous sauvera tous ?
Satisfaire notre recherche d’un alter ego
Ce n’est pas un petit bonhomme vert ou un androïde mais l’idée est quasi la même. Pendant qu’on aime faire dire des bêtises à Siri et qu’Alexa croit qu’on lui parle (alors que non), ChatGPT nous donne le sentiment de nous parler. Il nous parle avec un langage naturel et il répond même à nos questions. Peu importe si la réponse est bonne ou fausse, il nous répond et il a réellement l’air de savoir de quoi il parle. Lorsque l’on apprend à faire du développement informatique, on apprend un langage qui permet de communiquer nos besoins à la machine. Nous lui donnons des instructions qu’elle suit, mais ce sont bien des instructions et des scénarios à suivre en fonction de différentes variables. La complexité des formulations et la capacité de ChatGPT à aller chercher de nouveaux chemins à notre place amorce de nouvelles sensations en nous. Il a l’air intelligent. Il répond et parle, il émet des idées nouvelles. Pas nouvelles en soi, mais nouvelles pour nous et dont nous n’avions pas forcément connaissance. Il me fait penser à un ami imaginaire avec lequel je pourrais échanger et débattre pour trouver de nouvelles pistes. Mais cet ami imaginaire aurait tendance à être facilement pompette et parler beaucoup de sujets qu’il a à peine effleuré. Il cause beaucoup sans rien comprendre. Mais sa façon de faire nous rassure. Il a l’air sympa, finalement.
ChatGPT est convaincant car il n’a pas la voix monocorde et mécanique de Siri. Il n’a pas les locutions normées et répétitives des assistants conversationnels des SAV de nos e-commerces détestés. Non, il nous fait l’effet de ces robots qui ont l’air extrêmement abouti, en grande partie parce que l’ingénierie de leurs articulations imitent beaucoup trop bien le fonctionnement d’une main. Ce robot a l’air réussi pas parce qu’il fait preuve de singularité dans ses actions, mais parce qu’il nous imite bien. Regarde-le, il danse.
La menace menaçante qui nous menace
C’est quoi ce pessimisme ? En réalité, je ne me sens pas plus menacée que je ne l’étais déjà. Un client m’ a fait la remarque que dorénavant tout le monde aurait l’impression de pouvoir faire mon travail tout seul. Mais… c’était déjà le cas ! J’ai finalement réalisé que les personnes concernées par cette menace ChatGPT vs humains exerçaient surtout dans des professions déjà en grande partie externalisées et faisant également l’objet de prestations low-cost (de façon très importante). Globalement, je pense que tous les métiers de service intellectuel qui pourraient être exercés par le neveu de votre cousin pendant ses week-ends et vacances d’été, ont certainement reçu des remarques concernant la menace ChatGPT. En tout cas, les phrases trop longues ne semblent pas menacées sur ce blog. La séparation apparente entre les métiers de conception et les métiers de production semble devenir encore plus visible, faire encore plus de bruit. Tout ce ceci ne m’apparaît que comme la suite d’une forme d’industrialisation. Ou la continuation d’un processus déjà existant et surtout qui se répète d’un secteur d’activité à un autre.