J’ai assisté à la projection-débat du documentaire Bienvenue les vers de terre en présence de François Stuck, réalisateur, et de Sarah Singla que l’on voit dans le film. Le documentaire avait pour but de présenter l’agriculture de conservation et la régénération des sols. C’est un sujet auquel j’avais déjà été exposée, puisque j’ai des proches qui le pratiquent depuis plus de 20 ans. Ce compte-rendu est une suite de réflexion que j’ai eues suite au débat, et aussi les jours suivants.
Pour préciser, je ne suis pas agricultrice, je ne suis pas agronome. Juste une consommatrice qui aime bien se renseigner. Ce qui suit est mon point de vue, nourri de plusieurs rencontres et écoutes de débats.
Une alternative qui existe depuis plusieurs décennies
L’agriculture de conservation se base sur un principe simple : il y a toujours de la vie.
Pour une agriculture de conservation et la régénération des sols, on fait pousser beaucoup de plantes, souvent en même temps, avec une maîtrise des différentes plantes présentes. Autre aspect important : la rotation. Le fait d’intègrer un maximum de cultures différentes, notamment pour réduire les risques de maladies et de salissement.
Un apport de légumineuses va par exemple permettre de naturellement fixer l’azote contenu dans l’air dans le sol. En conséquence on réduit drastiquement l’apport d’engrais par l’homme. Et pour une régénération des sols, on va même pratiquer le semis direct sous couvert végétal. Certains iront même jusqu’au semis à la volée.
Il n’a donc aucun travail des sols, pas de machines, pas de labour. Le non labour va préserver le sol, et les plantes qui poussent en continu vont aider à la régénération de la terre. Elle est riche, fertile, et permet une excellente qualité nutritionnelle des récoltes.
En agriculture de conservation, on ne va pas uniquement s’occuper des plantes que l’on récolte. Au contraire, il s’agit d’une pensée plus globale où le sol va être chéri afin de lui permettre de donner le meilleur. C’est pour cela que ce n’est pas vraiment une technique non plus, puisque selon le terrain et le type de culture, des variantes seront adoptées.
Les vers de terre ? Lorsque le sol vit, les vers de terre sont extrêmement présents. Leur quotidien consiste alors à simplement se nourrir, drainer la terre, et créer des cavités. Grâce à elles, les racines des plantes plongent allègrement dans le sol et peuvent aller chercher les nutriments dont elles ont besoin. Grâce au non travail du sol, on ne touche pas aux vers de terre. Le travail du sol provoque directement le bouleversement du milieu, et tue les organismes qui vivent dans le sol.
La présence des vers de terre est un excellent témoin de la santé du sol.
L’agriculture de conservation permet surtout une très grande biodiversité, dans un champ créé pour la production de denrées alimentaires. La captation du carbone est optimale (lutte contre l’effet de serre), l’érosion est minorée, les abeilles butinent une palette étendue de fleurs.
Le glyphosate est-il un débat en France ?
L’agriculture de conservation utilise en France du glyphosate selon les dosages autorisés. Cet herbicide est donc utilisé, à même pas quelques litres par hectare, pour désherber, et jamais sur les plantes destinées à la consommation. Les personnes qui pratiquent l’agriculture de conservation mettent en avant le fait qu’ils ont grâce à leur méthode largement diminué de fait les intrants. “Intrant”, étant le terme utilisé en agriculture pour désigner les produits.
Il faut alors différencier les différents types d’intrants, certains étant réellement nécessaire pour soigner les plantes en cas de maladie. En effet, une plante malade libère des toxines qui vont rendre les récoltes mortelles pour l’Homme à la consommation.
Dans la pratique, l’agriculture, pour être en mesure de produire de la nourriture, doit pouvoir maîtriser ce qui pousse. Cela signifie que, quelque soit la méthode, si l’on veut faire de l’agriculture, alors on va désherber. Pour reprendre le jargon, il s’agit de limiter la présence d’adventices (les “mauvaises herbes”). On parle de gestion du salissement.
Aujourd’hui les adeptes de l’agriculture de conservation veulent sensibiliser les consommateurs sur le fait que l’interdiction du glyphosate ouvre la voie à des herbicides bien plus toxiques (de façon avérée).
Le bio n’est peut-être pas celui que nous pensons
Le bio, et la communication autour de ce label, consiste à ne pas utiliser d’intrants. Les herbicides ne sont donc pas admis dans les champs. Cependant, dans un champ, la nature va toujours vouloir reprendre sa place. Sarah Singla parle alors de la forêt primaire qui va de toute façon chercher à peupler les champs. On ne parle pas ici d’agroforesterie, qui est une pratique de plantation d’arbres maîtrisée. Mais le fait que pour faire de l’agriculture, soit semer et récolter des aliments, il est nécessaire au bout d’un moment de retirer des plantes.
Pour compenser l’absence d’herbicide, les agriculteurs en label bio vont donc utiliser la mécanisation par le travail du sol. Passer la charrue, tuer les vers de terre, tuer la vie. Retour à la case départ.
Le travail du sol a de nombreux désavantages. En plus de tuer la vie, il met à nu le sol qui va donc être très sensible à l’érosion. En effet, le travail du sol va de fait détruire les racines. La terre n’est plus retenue. La pluie va ruisseler au lieu d’atteindre les profondeurs, etc. Par ailleurs, une terre sans vie, va devoir recevoir des traitements d’engrais supplémentaires en compensation pour être en mesure de produire de l’alimentation. De fait, le travail du sol fait consommer énormément d’heures de travail, et de carburant.
Des études vont même jusqu’à dire que le travail du sol provoque la mort des vers de terre et autre organismes du sol, l’appauvrissement en matière organique et à terme la désertification.
À mois que… ?
Je participais à une conversation où des personnes échangeaient sur leurs achats au marché. On parlait alors de la présence de producteurs de légumes en label bio ou non. Soudain une phrase a particulièrement attiré mon attention : “c’est sous serre mais c’est bio”. Je me suis alors rendue compte que pour le tout bio, on préférait même le sous serre. Ou le hors-sol ? Est-ce que la production de nourriture pour nous, et nos enfants, pour être bio et totalement zéro intrant (enfin les herbicides) doit se faire dans un milieu confiné ?
Par définition un pesticide et un antiobiotique, c’est la même chose. Il y en a dans les schampoings anti-poux, dans les produits “anti-bactériens”.
Quelle agriculture voulons-nous, pour aujourd’hui et pour les futures générations ?
Entre agriculture conventionnelle, bio, agriculture de conservation, agroforesterie…etc. Il n’y a pas l’idée d’une agriculture parfaite. Le positif que je retire dans tous ces débats, c’est que l’on voit bien cette prise de conscience collective où l’on doit trouver une solution pour permettre de produire bien et durablement. Voir ce monde en ébullition, à la recherche de méthodes durables, avec des échanges collaboratifs, ce n’est que du positif.
Si le bio, tel qu’il existe aujourd’hui, avait un problème, ce serait la nécessité de passer par la mécanisation à cause du salissement. Pour produire bio en grande quantité, donc la généralisation du bio sur toute la France, faut-il tuer la vie du sol ?
On bien pouvons-nous adopter une solution – peut-être vue comme étant trop hybride – qu’est l’agriculture de conservation et la régénération des sols ? Permettre la régénération des sols par l’agriculture, et mettre l’agriculteur au centre d’une démarche positive où il participe à la captation du carbone pour lutter contre l’effet de serre, tout en produisant une nourriture aux apports nutritionnels maximisés… C’est une idée plaisante.
En agriculture de conservation, les plantes trouvent plus facilement les éléments dont elles ont besoin (par la biodiversité), et que ça mène à de meilleures valeurs nutritionnelles. Cela n’est pas nécessairement le cas en bio.
D’un point de vie économique, l’agriculture de conservation a même des conséquences à courts termes. Il est courant d’entendre les agriculteurs qui ont fait le passage, qu’ils ont consommé plus de 2 fois moins de carburant. On produit donc plus, peut-être mieux, et en dépensant moins. À une époque où l’on constate en France un suicide d’agriculteur tous les 2 jours, ce n’est pas un mince argument.
Avez-vous entendu parler de l’agriculture de conservation ? Qu’en pensez-vous ?
Bande-annonce du film Bienvenue les vers de terre
Aujourd’hui déjà, l’agriculture de conservation est pratiquée dans de nombreuses régions du monde qui y sont passées, notamment à la suite de problèmes agricoles. Les agriculteurs en France s’y intéressent de plus en plus à la suite de problèmes sur leurs cultures.
Quelques ressources
- “Le semis direct sur couverture végétale, une solution pour améliorer les sols des savanes du Laos”, CIRAD, 2012
- L’agriculture de conservation, qu’est-ce que c’est ?, INRA, 2013
- Comment le café est devenu cancérogène, Slate, 2015
- L’affaire du glyphosate, un cas d’école de désinformation, La Tribune, 2017
- Conséquence d’une terre abîmée : baisse de l’accès à l’alimentation et hausse de la pauvreté, CNRS
- Manuel pratique du semis direct sur couverture végétale permanente, SCV, Olivier Husson, Lucien Seguy, Huber Charpentier, 2013
Les photos ont été prises en France dans la Nièvre (58) dans une exploitation agricole où est pratiquée l’agriculture de conservation.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.