Ce billet est en quelque sorte la suite de celui-ci intitulé « J’imagine que toi aussi, tu es impactée ? ». Je vais parler de crise économique et de mon expérience personnelle de tout cela.
Je ne vais pas te l’apprendre, cela va faire (dans pas si longtemps) une année que l’on vit sur un rythme étrange fait d’incertitudes.
Je vis un confinement #2 radicalement différent du confinement #1. C’est le cas de beaucoup de personnes, et le fait de garder un lien social à distance avec des gens croisés régulièrement m’a aidée. J’ai choisi de continuer de me rendre à mon bureau. D’une part, parce qu’il est vraiment très proche de mon domicile. D’autre part, en raison du fait que je dispose d’une pièce fermée que j’occupe seule. C’est un véritable confort pour lequel j’ai assez peu (ou pas du tout) de vrais arguments m’encourageant à m’en passer. Le télétravail, quand tu es seule de facto et que tu ne prends pas les transports en commun, n’a pas de grand intérêt sur la distanciation sociale. C’est mon avis.
Ensuite les sorties quotidiennes pour promener le chien, et les quelques courses d’ordre pratique, font que j’ai conserver une illusion convaincante de vie normale. Illusion, car il est vrai que j’ai tout de même eu des moments de déprime pour lesquels il a fallu agir assez rapidement afin de ne pas m’embourber dans un cycle de déprime. Du moins, pas plus que nécessaire. Par exemple, en hiver, penser à faire une sortie loisir lorsqu’il fait encore jour est un peu plus efficace pour s’aérer.
Enfin, je suis cette fois-ci extrêmement occupée. Je dois dire que c’est l’apnée et que mes occupations m’empêchent de ruminer (de trop). C’est très efficace. Mais comme pour toute activité intense, la descente est souvent d’autant plus violente. Comme un élastique que l’on tend, quand il se relâche, c’est comme me prendre la réalité en pleine figure. Alors comme je me connais, je fais attention. Je prends garde à manger avec des choses nourrissantes et bonnes pour moi. Je me laisse dormir une heure de plus si besoin est. Parce qu’entre commencer 1 heure plus tard et avoir toute sa journée de gâchée, la question elle est v…
La question la plus récurrente, parmi celles que l’on me pose, concerne ma charge de travail. C’est même plutôt une question réthorique à la manière de “toi aussi tu es impacté ?”. On me demande si cela ne va pas trop mal. En fait, je dois dire que du point de vue du nombre de tâches à exécuter au cours d’une journée, je ne m’ennuie absolument pas. Ceci dit, même lorsque je n’avais pas, ou beaucoup moins, de missions en cours, je n’étais pas moins prise. Car ce n’est pas parce que l’on ne réalise pas une action qui nous apporte une rémunération provenant d’une source extérieure que l’on ne travaille pas.
Ces questions m’ont rappelée les conversations que j’avais lorsque j’étais étudiante. Par défaut, l’on considérait que mon activité n’était pas du travail puisqu’elle n’était pas rémunératrice. Ces discours me faisaient beaucoup de mal. Pourtant, même aujourd’hui, je me rends compte du nombre incroyable de choses que je fais sans qu’elles ne soient pour autant génératrices d’argent. Ou au moins pas directement. Concrètement, scanner mes tickets de caisse ou comparer les différents formats de contrat de travail et leurs obligations ne me rapportent rien. C’est même générateur de coût si l’on y pense, puisque je passe du temps pour lequel je ne reçois rien. Pourtant, ces actions sont bel et bien nécessaires. Et si je ne faisais pas tout cela, beaucoup de choses iraient sans doute bien plus mal.
Donc même si l’on n’est pas en train de “faire de la prod’ ” comme dit dans not’ jargon pro, la tâche n’en est pas moins indispensable. 1
Durant le confinement #1, c’est exactement ce que j’ai fait. J’ai organisé, réfléchi, positionné, agi… et sans aucun doute, tout ce que j’ai fait au printemps-été 2020 sont largement les causes de ma (très) relative sérénité aujourd’hui. Attention, ne me fais pas dire ce que je ne dis pas. Vraiment très loin de moi l’idée de déclarer que les personnes qui s’en sortent moins bien l’ont mérité : parce que la vie, ses aléas, ses déceptions, et ses surprises. En revanche, ce que je dis est qu’il faut accepter pour soi et pour les autres que certaines de nos tâches sont importantes même si elles ne débouchent pas directement sur une facture émise ou un salaire perçu.
Pour soi, c’est important car cela permet de prendre du recul et aussi d’être un peu plus indulgent avec soi-même. Cela aide à ne pas tomber dans le cycle infernal de la culpabilité car j’aurais 15 minutes de retard sur mon planning journalier. 2 Maintenant je ne réalise plus to-do list journalière mais hebdomadaire pour ne pas me torturer l’esprit inutilement. Même si je sais bien que tout ce que je prévois de faire le vendredi est en fait réalisé le lundi, la plupart du temps, parce que je suis claquée comme jamais.
Pour les autres, et ses proches, cela permet d’éviter les jugements hâtifs ou les jugements tout court. J’ai vraiment noté ce tourbillon de jugements en continu avec les confinements. Il faut être un bon confiné, un bon travailleur, un bon consommateur, un bon télé-travailleur, un bon freelance. Des portraits pseudo-vertueux se sont construits, et ils me fatiguent vraiment. Cela me rappelle au passage cet article dans LeMonde “”Il faut montrer qu’on est un “bon pauvre”, prouver qu’on n’a vraiment plus un sou » : à Lyon, la précarité étudiante renforcée par le Covid”. Laissez-nous vivre, avoir des vie imparfaite, et faire des concessions pour que l’on s’en sorte comme on peut.
Je suis parfois désolée de ne pas être cette freelance martyre, qui, bien qu’elle puisse exprimer ses difficultés, ne déteste pas le monde entier pour autant. Je n’ai pas plus de motivation qu’une autre personne, et je ne suis pas forcément plus douée que quelqu’un d’autre. J’essaie juste d’accepter que c’est la merde quand on a besoin de le dire, et de chercher des solutions pour que ça aille mieux. Parfois, souvent, cela ne fonctionne pas. C’est terrifiant et cela peut en briser plus d’un. Et à d’autres moments, cela paie d’avoir pris une décision, et d’avoir cumulé des dizaines d’actions et de choses inutiles dans sa vie.
Aujourd’hui, cela ne va pas encore “bien”, mais ça sera toujours le cas. Il n’y a aucune situation ou vie parfaite. Tout se construit, et il faut bien commencer quelque part. Le plus dur pour moi est de garder confiance. Il est régulier qu’une tendance à la lassitude devant les difficultés m’amène à ruminer fortement. 3
Et ces derniers temps, j’ai aussi eu de bonnes nouvelles. Pourtant, est-ce normal d’avoir ressenti un besoin de les taire par peur de contrarier ou d’enfoncer d’autres personnes dans leurs difficultés ? Sans doute est-ce lié au fait que j’ai été éduquée dans l’idée que la discrétion est vertueuse et protectrice. 4
Alors quand cela va bien pour soi, je me rends compte comme il est encore plus important de soutenir les autres. La solidarité peut être là aussi : par le partage d’expériences, de conseils, de points de vue. Mon message est donc celui-ci : on a le droit de dire que ça va pas et que tout ça est vraiment vraiment vraiment pénible. Cela aide aussi à faire le point et à prendre des décisions. Pas si mal, non ?
Les photos de ce billet ont été tantôt prises avec mon téléphone et une retouche VSCO, un appareil Canon AF35Mii (avec un film Lomo 400 pour l’image de l’abbaye de Saint-Rémi) et un Olympys Superzoom 76g avec un film Colorplus 200 (pour l’image de la fontaine Subé).
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