Le confinement des solitaires.

Je mélange totalement les anecdotes de ma vie avec les chroniques. Je démarre un format de contenu absolument chaotique. C’est à peu près à l’image de ce qui se passe dans mon cerveau !

Il aura fallu à peine quelques jours pour que je perde le fil. C’est drôle (pas vraiment) d’être forcée à prendre de nouvelles habitudes, de s’adapter à un nouveau train de vie que l’on subit. Pour mon activité professionnelle, c’est mitigé. Globalement, ça va, mais je me demande pour combien de temps. Il y a des missions qui ont été suspendues, et pourtant, je n’ai jamais été frustrée ou en colère. Je comprends. La crise, c’est pour tout le monde, et chacun ses choix. Je préfère largement que l’on soutienne les emplois des salariés, et que l’on néglige le prestataire. De toute façon, cela fait 5 ans que je suis prestataire de services seule, 9 ans tout court, j’ai l’habitude d’avoir le rôle ingrat. Je ne te cache pas que le travail est un refuge appréciable. Mais j’ai dessiné aussi, je te montrerai.

J’ai été sage. Je ne suis sortie quasiment que pour les besoins naturels de Mappy, comme dit le petit papier. Mon seul déplacement un peu loin fut pour aller chez le kiné lundi matin. Mais de toute façon, il n’y a plus kiné maintenant. Tant que mon mental était relativement en forme, je suis sortie la nuit pour la chienne, dans les rues sombres et désertes de mon quartier, laissant la joie du soleil à mon compagnon. Puis soudainement, la crise d’angoisse, les pleurs, incessants, intenses. Une typique crise d’anxiété, où je me suis projetée dans la douleur d’un mois sans voir totalement ma famille ou mes amis, alors que cela n’est même pas arrivé, encore. Alors finalement, le lendemain, je suis sortie de jour. J’ai été contrôlée, ensuite je suis restée immobile, la chienne au bout d’une longe, à la regarder, simplement, je ne sais pas combien de temps. Une demi-heure peut-être, dans le silence et la ville qui a oublié qu’elle était une ville. Mappy sentait le parfum des fleurs. C’était si mignon. Effet vertueux de cette histoire, les paysagistes sont sûrement en chômage partiel. Le gazon n’est pas taillé incessamment, et les fleurs poussent. Les abeilles vont apprécier. Depuis, ils ont fermé cet espace vert avec de très longs rubans qui ont déjà commencé à se détacher. J’ai angoissé encore.

Je suis également sortie faire une course alimentaire. Quelques minutes de vélo, quelques minutes chez Picard, une salutation à un ami vu à la caisse, de loin, prenant quelques nouvelles rapidement. C’est fou, tout est lent, et pourtant, nous faisons tout rapidement. Très vite, il faut faire vite, ne pas se parler, ne pas stationner, ne pas traîner. Ce nouveau schéma d’appréciation du temps est vraiment étrange.

Il y a aussi cette nouvelle routine pour sortir. Une paire de gants en caoutchouc dans la poche gauche, avec une bouteille de gel hydroalcoolique (va lire ça), mon moyen de paiement. Dans la poche droite, mon attestation, ma carte d’identité. Je me poste devant mon objectif, j’enlève ma paire de gants normale, j’enfile ceux en caoutchouc. Je fais mes emplettes, je paie. J’enlève les gants, je les jète dans une poubelle dehors en prenant soin que ma peau ne touche pas l’extérieur des gants. Je nettoie mes mains au gel hydroalcoolique, et aussi ma carte bancaire, je range le tout, et je remets mes gants normaux. Et je rentre.
Ok je ne l’ai fait qu’une fois, puisque je reste confinée sagement, surtout, mais je sens que je vais m’habituer vite à ce curieux rituel.

Il y a aussi la question de la promiscuité. Je crois que j’ai une (forte) tendance à être assez solitaire. Ce n’est pas contradictoire avec l’idée de vivre avec quelqu’un, puisque dans un quotidien normal, on passe facilement beaucoup de temps séparés. Entre le travail et les loisirs, déjà, ça fait pas mal de temps cumulé dans la journée sans être forcément à deux. Aujourd’hui, je subis un peu la présence, de quelqu’un que j’aime de tout mon cœur. Pourtant, aller contre son propre tempérament est compliqué. Ironiquement, il faut aussi gérer cela. Être confiné, c’est simple. La distance sociale, c’est autre chose. J’ai plutôt tendance à apprécier accorder des laps de temps exclusifs, où j’essaie de profiter pleinement de la personne. J’essaie par exemple de ne pas regarder mon téléphone si je suis au restau avec des amis. Là, je dois gérer d’avoir toujours de la compagnie, alors que j’ai littéralement une forme de budget de temps pendant lequel j’arrive à supporter autrui. Oui, je sais, je suis bizarre. Heureusement, nous avons plusieurs pièces.

Sinon je lis, et j’écoute aussi. J’ai écouté, là, Le voyage dans le passé par Stefan Zweig. C’était si beau.

Le voyage dans le passé

Pour se reposer les yeux, ou griffonner tout en écoutant quelque chose, un livre audio, c’est pratique. Les nouvelles de Stefan Zweig se prêtent facilement à cet exercice. L’écoute ne dure pas 12 heures, et c’est si beau. J’ai écouté la version lue par Thibault de Montalembert. L’enregistrement dure 1h48.

Le voyage dans le passé, narre les retrouvailles de deux amants qui ont été séparés 9 ans durant à cause de la guerre. Leur rencontre se pose dans le cadre d’une relation illégitime, pourtant irrésistible. L’un des deux doit pourtant partir, s’éloigner, les deux amants s’échangent des lettres brûlantes et se narrent leurs quotidiens par voie postale. La guerre éclate, la séparation dure finalement 9 longues années, durant lesquelles chacun des deux finit par se construire d’autres vies, sans l’autre, surtout car la guerre a coupé les communications, pendant un temps. Leurs retrouvailles sont étranges, et pourtant passionnées, et chastes à la fois. Ils doivent se réapprendre, après toutes ces années, eux qui se sont si peu connus.

La nouvelle décrit ces sentiments, qu’ils se découvrent comme étant partagés. La naissance des émotions, les attentions que l’on identifie comme étant un peu plus que de la simple sollicitude, la révélation, le plaisir, l’évolution. Stefan Zweig parle si bien des sentiments et des émotions, dans tout ce qu’il écrit. La projection du lecteur (ici l’auditeur) est unique. Je me suis prise dans quasiment 2 heures de pure beauté émotionnelle. Vraiment, si tu as un peu de temps et de budget, vas-y.

Lis ou écoute Zweig. (Il y a aussi la bande-dessinée Le Joueur d’échecs, qui est géniale, qui parle de confinement, dans le même genre, pour parler de confinement, il y aussi S’enfuir en BD superbe.).

La nouvelle Le voyage dans le passé a été adaptée au cinéma dans La Promesse, de Patrice Leconte, avec entre autres Rebecca Hall, Richard Madden, et Alan Rickman. en voici la bande-annonce.


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