Une de mes dernières lectures est Le charme discret de l’intestin par Giulia Enders. C’est un libre qu’on trouve en ce moment partout, même au Relay avant de prendre son train. Son sujet ? La digestion, de la bouche jusque l’anus. Elle nous est expliquée à toute les échelles, même microscopique.
Le fonctionnement du système digestif, best seller international
J’ai une passion pour le système gastrique. Je crois que c’est parce que je fais partie des personnes qui ont quelques soucis de digestion (glamour), et que je me pose beaucoup de questions sur comment mieux faire fonctionner cette machine.
Voir dans une librairie Le charme discret de l’intestin et ses géniales illustrations fut une aubaine. Je dois d’abord vous dire que cet ouvrage est absolument passionnant, intéressant, bien expliqué, et ludique. Le caca, c’est pas tabou, même si ce n’est pas apprécié par l’odorat. On comprend beaucoup de choses, et surtout on ne pose pas d’avis fermé sur les fonctionnements du corps humain. J’ai réalisé à quel point on pouvait avoir le sentiment que la médecine avait tout donné. Pourtant les recherches continuent, et on est bien capable de faire les choses autrement ou mieux.
Lire ce livre et voir toutes ces illustrations m’a rappelé ce rapport au déchet, celui que j’avais étudié.
> Giulia Enders, Le charme discret de l’intestin : Tout sur un organe mal aimé, 21,80 €
Marie Douglas et le sens de l’abject
Lors de mes recherches sur le déchet numérique, j’étais retourné aux fondements du déchet. La question que je devais résoudre était alors : qu’est-ce qui doit être jeté, qu’est-ce qui est sale ?
Aujourd’hui la matière fécale est une chose qu’on ne veut surtout pas voir. Les crottes de chien dans les rues salissent les villes, et on considère un enfant “propre” lorsqu’il sait aller lui-même au pot. L’expression est assez révélatrice. Ainsi être propre ou ne pas être propre tient au seul fait de pouvoir retenir son sphincter, et faire caca au bon endroit.
Je ne peux pas parler de cela sans citer Marie Douglas.
Mary Douglas (1921-2007) est une anthropologue britannique. Elle revient sur le matérialisme médical des rites religieux. En effet, ce qui est posé comme abject et impur par la religion s’explique souvent par des raisons sanitaires propres au développement d’une religion primitive. Considérer un objet comme étant sale est relatif. La saleté est ce qui n’est pas à sa place. Or, on définit ce qui n’est pas à sa place selon un ordre qui tient d’un système et d’une culture. Néanmoins le déchet corporel, dans le rite religieux, peut être porteur de pouvoir.
Le premier déchet corporel, quel est-il ? Je vous le donne en mille : c’est le caca !
Là où il y a saleté, il y a système. La saleté est le sous-produit d’une organisation et d’une classification de la matière, dans la mesure où toute mise en ordre entraîne le rejet d’éléments non appropriés.
Source : Douglas Marie, 1992, De la souillure. “Études sur la notion de pollution et de tabou”, Paris, La Découverte.
Traduction
En gros, ce qu’on jète, et ce qu’on trouve caca… ça dépend. Tout est une question de point de vue. Si la matière fécale est devenue un abject, c’est surtout au cours du XIXe siècle on on découvrit qu’elle pouvait apporter des maladies. Le caca est devenu négatif dans le langage.
On est une merde, on s’emmerde, on foire (= avoir des selles liquides), on se fait chier, on est chiant.
Pourtant n’est-ce pas du fumier qu’on répand sur les cultures ?
C’est là que la matière fécale peut devenir positive. Son ambivalence est un des sujets principaux de la littérature de Rabelais. À cette époque, la merde était à la fois dégoutante et fantastique. C’est un déchet, on la rejète, mais on la répand dans les champs pour obtenir de la nourriture. À un moment de l’histoire de France marquée par la paupérisation et la famine, ce n’est pas rien ! La scatologie n’est pas seulement rigolote, elle peut avoir une signification un peu plus profonde.
Alors comme on dit… on est toujours la merde d’un autre.
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