Installer une routine de croquis, ou de dessin régulier, est très difficile. Bien que j’essaie de demeurer régulière sur la question, je traverse de temps en temps des périodes de vide. Pourtant je ne pense pas qu’elles soient négatives, elles ne sont que le reflet d’une humeur du moment. De la même manière qu’une période de grosse productivité traduit un moment où on est très inspirés, les périodes de creux veulent aussi dire qu’on était occupé à autre chose. Étant donné que ma pratique du dessin s’approche quasiment du journal visuel, je trouve cela plutôt logique et ne culpabilise pas du tout de ne pas beaucoup dessiner pendant quelques semaines.
Mais s’il y a bien quelque chose que j’aime particulièrement faire, c’est parcourir les dessins précédents. En feuilletant les pages de mes carnets, j’ai ainsi le sentiment de remonter dans le temps. Chaque image me permet de retrouver mon humeur du moment et je me vois saisir mon stylo, choisir le point de vue, puis fermer mon carnet. Ce sont des gestes simples mais retrouver mon dessin me donne le sentiment que ce sont pourtant des gestes uniques malgré leurs répétitions.
J’étais là, à cet endroit, à ce moment précis, à cette heure de la journée. Une femme est passée devant moi à cet instant et j’ai hésité à la dessiner elle aussi. Puis mon modèle à bouger, ah pourquoi bouge-t-il autant !
Quelle est cette tache ? Ah je me rappelle, c’est la bouteille de bière qui a explosé dans la valise et qui s’est déversé sur mon carnet. Bon les croquis n’ont pas si mal vécu l’aventure, c’est un souvenir de plus !
J’ai lu dans le livre L’art du croquis urbain des témoignages de ces urban sketchers ou croqueurs de rues que le dessin permettait de se sentir plus proche des choses. En effet le dessin prend plus de temps qu’une photographie et force le dessinateur à prendre le temps d’observer son modèle.
Je pense que c’est plus que cela. Pour moi, ce n’est pas de la simple étude de modèle vivant pour remplir des carnets, même s’il y a un peu de cela pour garder un coup de crayon entraîné.
Cependant l’essentiel de la pratique de dessin au quotidien, me concernant, est dans le fait que j’arrive ainsi à me souvenir de manière beaucoup plus sensible des choses. Certes je me rappelle la manière dont ce bâtiment était fait et les détails que j’ai peiné à reproduire, ou ceux que j’ai décidé de mettre de côté. Mais mon souvenir de la situation va beaucoup plus loin. Je me rappelle ainsi le touché du bois de ce comptoir contre lequel j’étais appuyée, l’odeur de cannelle venant de la table voisin, et le vélo vert attendant sous la pluie.
Un article du Philosophers’ Mail titrait “Why you should stop taking pictures on your phone – and learn to draw” soit “pourquoi vous devriez arrêter de prendre des photographies avec votre téléphone, et apprendre à dessiner”.
Cet titre était très parlant pour moi, mais j’ai surtout été intéressée par cette présentation du dessin tel qu’il l’était autrefois. Aujourd’hui, tenir un carnet de croquis semble être une activité pour artiste ou pour personne aimant dépenser son argent dans une boutique de matériels beaux arts. Pourtant au XIXe siècle on dessinait beaucoup plus facilement. Le dessin était une réelle forme de prise de note au même titre que de noter des informations sur Keep avec son téléphone Android. J’ai l’impression que je suis plutôt dans cette logique du “oh j’aime bien ce truc, je vais le dessiner”, plutôt que dans le “je vais faire une œuvre d’art”.
C’est ainsi que je suis le plus à l’aise pour pratiquer le dessin, pour continuer de le faire sans pression, et pour savourer chaque feuille devenu plus que des souvenirs mais de véritables expériences.
- Les dessins de cet article ont été réalisés lors de mon séjour à Copenhague au mois de mai 2014 à l’occasion du concours Eurovision de la chanson.
- La photographie de moi qui dessine a été prise à Milan en mars 2014 en haut du Duomo, cathédrale de Milan, par Nul en photo.
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