Le World Press Photo, qu’a-t-on à reprocher à une belle image ?

L’image de l’année est donc le cliché de Paul Hansen qui a reçu le prix de la photographie de l’année au World Press Photo Awards.
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L’annonce du gagnant est toujours un évènement attendu, car son impact ne se limite jamais à l’année de sa nomination. Cette année, le photographe primé est le photojournaliste Paul Hansen. Personne ne reprochera l’esthétisme de la photographie, ou encore moins son impact émotionnel. Néanmoins, on ne peut ignorer ce rendu qu’un article de Le Monde qualifie de cinématographique.

Mais avant de lancer le débat de la déontologie journalistique sur une image, parlons un peu de la photo en elle-même.

Voyons par exemple la photographie qui remporta le World Press Photo en 1990. Son auteur est Georges Merillon, photojournalisme français. Elle montre une femme en pleur devant un mort qui semble être un de ces proches. Elle est accompagnée de plusieurs autres femmes elles-mêmes touchées par le décès ou bien tentant de calmer la première. La composition n’est alors pas anodine, le sujet n’est pas le mort mais bien la femme au centre éclairée sur le côté comme le ferait un tableau de Johannes Vermeer.

wpp-1990

Visuellement, il s’agit d’un motif qui touche le public occidental et pas seulement pour sa valeur émotionnelle forte. Je ne dis pas que vous êtes tous sans coeur, je dis qu’on a tout de même une culture commune. :-)

Ce motif, c’est celui de la mater dolorosa ou encore celui de la pieta qui correspond à la Vierge Marie. Mater dolorosa désigne alors la mère pleureuse qui pleure son fils défunt, tandis que la pieta désigne celle qui recueille le corps de l’enfant. Ce sont deux représentations qui ont été beaucoup reprises dans la peinture, dans la sculpture, dans la gravure… Elle sont à la fois spécifiques à l’histoire de la Bible et universelles, ce qui explique leur impact dans la culture et leur forte présence dans la culture visuelle.

G : Jacques Louis David, Niobé devant ses enfants, 1772, 121 x 154 cm - D : Vincent Van Gogh, Pieta, 1889, 73 x 60 cm
G : Jacques Louis David, Niobé devant ses enfants, 1772, 121 x 154 cm
D : Vincent Van Gogh, Pieta, 1889, 73 x 60 cm

Et plus il y a de personnes qui pleurent, plus c’est impressionnant. Cela me rappelle la tradition ou le rituel des pleureuses. On juge à peu près l’importance de la personne défunte au nombre de gens qui vont être là pour les obsèques. Cela ne date aucunement d’hier puisqu’on retrouve des images de pleureuses sur les fresques de l’Egypte ancienne.

Obsèques à New York de Horace Greeley, 1872

C’est bel est bien universel au point où il existe même des pleureuses professionnelles qu’on loue pour montrer à quel point la perte de l’être défunt est terrible.

Source
Source

En analysant la photographie de Paul Hansen, elle correspond à peu près aux icônes que je viens de décrire. Elle est à la fois pieta, mater dolorosa et pleureuse car il s’agit d’emmener les enfants tués par un missile israélien à Gaza.

L’émotion de la photographie est alors poussée grâce à son esthétique remarquable et à son potentiel à l’identification. Elle présente le cas particulier de deux enfants, mais elle est empreinte de la mémoire des enfants décédés et pleurés.

Quel est le débat ?

Il est assez simple et même courant. Une photographie de presse est là pour donner une information. Elle peut compléter un article ou être absolument indépendante pour constituer un message  à elle seule.

Dans cette idée, il convient d’imaginer une photographie de presse absolument neutre et quasiment factuelle. La technologie permet de capturer des instantanées sans problème et dorénavant on ne snobe plus tellement le numérique qu’il viennent d’un téléphone portable ou d’un 5D Mark III. L’image prime, l’information avec elle.

La retouche photo semble alors être exclue. C’est plutôt logique, à partir du moment où une retouche est faite sur une photographie qui veut être factuelle et montrer un réel (et non pas le réel), alors il ne faut pas la retoucher. Je dirais même qu’il est inutile de la retoucher.

Pourtant, dans l’histoire de la photographie de presse il y a eu de splendides photographies. Certaines sont dures et il y a aussi la fameuse question de “qu’a fait le photographe ensuite ?”. Ce n’est peut-être pas tant l’image le problème mais bien la volonté de son auteur qu’on peut interpréter à travers un tas de couleurs de forme rectangulaire.

Véronique de Viguerie membre du jury du World Press Photo explique qu’il était admis de faire avec photoshop ce qu’il est possible de faire en chambre noire. En effet, la chambre noire permet déjà de faire beaucoup de retouches ne serait-ce que sur la luminosité ou le contraste des images. C’est la raison pour laquelle je ne suis jamais choquée qu’on retouche une image réalisée avec un appareil numérique, car je considère que le fichier est une version brute comme le serait le négatif, même si la retouche n’est pas toujours nécessaire.

Au final, on fait très bien la différence entre une photographie dont la retouche va trop loin, à partir du moment où elle change un fait. La retouche de la couleur du ciel n’est pas forcément grave, mais si on enlève des nuages ou qu’on le rend plus bleu, on change alors les conditions météorologiques ce qui peut être gênant sur certaines scènes.

Mais lorsqu’il s’agit d’un rendu purement esthétique : couleur, contraste, accentuation de la netteté… on ne peut pas tellement le reprocher.

On reprocha au photographe français Franck Fournier sa décision de photographier Omayra Sánchez agonisante, face à l'inaction du gouvernement colombien.
On reprocha au photographe français Franck Fournier sa décision de photographier Omayra Sánchez agonisante, face à l’inaction du gouvernement colombien (1985).

La réelle problématique derrière cela, est peut-être bien la question du droit de rendre beau ce qui est horrible. Dans certains cas, il y a une autocensure du photographe qui décide lui même de ne pas prendre une photo une scène qu’il juge inappropriée de photographier. C’est souvent tout simplement par respect, ou parce que ça ne se fait pas. Rappelons-nous le film des pompiers de New York dans laquelle on entend les personnes qui se suicident du hauts des Twin Towers tomber au sol. Nous n’avons pas vu de photographies de ces gens au sol.

Mais lorsque la photo est là, embellie, splendide, alors qu’elle montre une enfant bloquée par la boue et le béton à cause d’une éruption volcanique, qu’en pensez ? La misère, la mort, le malheur, peut-on rendre cela beau au nom de l’esthétisme et surtout lorsqu’on se trouve dans le cadre de la photographie de presse ?


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